La résilience comme objet sociologique

Au cœur des processus participatifs, l’idée que les individus vivant des expériences fragilisantes peuvent s’en ressortir et redévelopper une forme de pouvoir d’agir. Le constat de cette conception de l’individu (Jean-Louis Genard parlera d’anthropologie dispositionnelle et conjonctive, une synthèse de son article sera bientôt déposée ici) donne lieu à des concepts tels que celui de résilience, cette capacité à faire face à des difficultés popularisée par Boris Cyrulnik. Souvent traitée depuis la perspective de la psychologie, cette capsule vidéo prodiguée par Nicolas Marquis (Sociologue, Université de Saint-Louis) propose de traiter sociologiquement de la résilience comme une catégorie sociale rencontrant un important succès.

Sans être normatif (se positionner moralement sur la nécessité d’être ou non résilient ou sur le fondé de cette catégorie), Nicolas Marquis définit la résilience comme une catégorie témoignant du fait que « le malheur a toute sa place dans la société », rejoignant par ailleurs le constat que pose Jean-Louis Genard quant à l’évolution de nos coordonnées anthropologiques : autrefois, incapacité et capacité était opposées comme des catégories naturelles, séparant des classes d’individus incapables d’autres capables ; maintenant, il est considéré que les individus se trouvent sur une échelle allant d’incapables à capables et peuvent évoluer sur cette échelle. Cela implique que les incapacités, les vulnérabilités ou le malheur, comme le dit Nicolas Marquis, ne sont plus écartés, déconsidérés, mais bien pris au sérieux en tant qu’expériences, sans disqualification des individus les vivant. Les catégories de pair-aidant-e-s sont un exemples de cela.

Le malheur, les expériences fragilisantes, sont finalement les clés de perspectives et expériences nouvelles à partir du concept de résilience. Des perspectives qui seraient inatteignables sans ces expériences négatives (c’est tout le cœur de la notion de savoirs expérientiels, par exemple).

En plus d’effets opérationnels et symboliques forts, la catégorie de résilience est associée d’après Nicolas Marquis a une marque de prestige : l’expérience de souffrance a forcé à faire quelque chose de son malheur, ce qui est une prime de prestige liée à la possibilité de se reprendre en main pour l’individu. La souffrance devient alors elle aussi source d’activation des individus, à la responsabilité de l’individu souffrant.

Voilà un constat qui invite à entretenir une réflexion critique par rapport à ces catégories : ne sont elles pas liées à une trop grande responsabilisation individuelle de la reprise en main des personnes vulnérables (et à une déresponsabilisation étatique à cet égard, dirait Jean-Louis Genard). De la même manière, est-ce que cela ne crée pas une asymétrie entre les personnes ayant réussi à le faire et les autres, qui sont alors doublement écartées (vulnérables parmi les vulnérables).

La résilience, que l’on pourrait associer au rétablissement ou à l’empowerement, est une catégorie au cœur de nos attentes et perspectives démocratiques dans le secteur social-santé bruxellois. Sans jeter le bébé avec l’eau du bain conceptuel, l’analyse sociologique du concept de résilience invite à une prudence critique quant à nos dispositifs participatifs et les violences que leurs présupposés peuvent générer. Nicolas Marquis, en nuançant l’idée que le processus de résilience est quelque chose de démocratique, nous arme partiellement pour ces réflexions.

 

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