Patient.e.s-formateur.rice.s

Vers une reconnaissance de l'expertise des patient.e.s dans la formation des (futur.e.s) professionnel.le.s de la santé

En juin 2019, la LUSS a obtenu un financement de deux ans de la Fondation Roi Baudouin pour permettre la formation d’un groupe de « patients-formateurs ». Ce financement permet de renforcer l’objectif poursuivi par la LUSS et les associations de patient.e.s, à savoir la reconnaissance de leur expertise dans la formation des (futur.e.s) professionnel.le.s de la santé.

Recrutement et formation

En octobre 2019, suite à un appel à candidatures lancé deux mois plus tôt, un entretien individuel avec chacun.e des candidat.e.s ainsi qu’un.e représentant.e de son association a permis de faire le point sur les motivations à participer au projet. L’occasion de clarifier avec chacun les objectifs du projet et de mettre en évidence l’importance du collectif dans celui-ci – une triangulation entre le.la patient.e, son association et la LUSS.

En novembre 2019, la première réunion du groupe de patient.e.s-formateur.rice.s a eu lieu. Elle regroupait 16 patient.e.s et proches, issus de 12 associations de patient.e.s différentes. Cette réunion a permis au groupe de faire connaissance, mais aussi de se projeter concrètement dans les étapes à venir car des interventions étaient déjà prévues dans 4 établissements d’enseignement supérieur entre février et avril 2020.

Subdivisés en 3 groupes de travail, chaque sous-groupe de patient.e.s-formateur.rice.s aborde deux thématiques transversales. Ces thématiques ont été identifiées par la LUSS en tenant compte de l’expérience passée : éducation thérapeutique, qualité des soins, vivre avec une maladie chronique, communication soignant.e-soigné.e, empowerment et droits du.de la patient.e. Lors de son inscription, chaque patient.e a exprimé le souhait de travailler sur une ou plusieurs thématiques – permettant ensuite de former les sous-groupes en conséquence.

C’est donc par sous-groupe que les patient.e.s-formateur.rice.s préparent de façon autonome leurs interventions. Cela permet une transversalité des propos, une « vision patient.e » plus globale. Ainsi, les messages portés reflètent le vécu d’un collectif et dépassent le discours individuel. Toutefois, l’expérience individuelle reste importante et permet aussi de faire passer des messages. Le.la patient.e-formateur.rice prend tantôt la parole en tant que représentant des patient.e.s, représentant de son association/sa pathologie ou en son nom propre.

En février 2020, deux journées de formation ont également permis au groupe de patient.e.s-formateur.rice.s de réfléchir collectivement aux six thématiques sur lesquelles ils.elles sont amené.e.s à intervenir. En favorisant une pédagogie active, chaque patient.e a pu s’enrichir de l’expérience des autres afin de maîtriser davantage ces différents concepts et exprimer son point de vue. L’objectif de ces journées était notamment de rendre palpable pour tous certains concepts perçus comme plus abstraits, comme l’éducation thérapeutique ou l’empowerment.

Une deuxième période de formation a débuté en mars 2020. Cette formation, imaginée à partir des besoins exprimés par chacun lors des entretiens individuels d’octobre 2019, se centre sur la prise de parole et l’animation de groupe.

Expériences de terrain

Depuis janvier 2020, et malgré l’arrivée de la crise sanitaire, le groupe de patient.e.s-formateur.rice.s a été actif dans 4 établissements.

  • Université Catholique de Louvain (UCL) – Master en Santé Publique, Cours d’Interventions en éducation du patient – I. Aujoulat.

Depuis 2014, chaque année, la LUSS, accompagnée d’associations de patient.e.s, intervient dans le cadre de la première séance de ce cours. En 2019-2020, il a été convenu, d’une part, de conserver la première séance de cours telle qu’organisée habituellement et d’autre part, d’impliquer un duo de patient.e.s tout au long du cour.

La première séance de cours a été animée par trois patient.e.s-formateur.rice.s. Il.elle.s se sont exprimé.e.s sur ce que c’est que de vivre avec une maladie chronique. Cette intervention avait été préparée avec le sous-groupe travaillant sur cette thématique. Une présentation a été élaborée pour l’occasion et à partir des réflexions du groupe, différents éléments de vécu ont été mis en exergue : l’avant diagnostic, le diagnostic et l’après diagnostic. Le trio a également pris la parole pour présenter ce que sont les associations de patient.e.s, en faisant participer les étudiant.e.s au travers de la réalisation d’un blason.

En plus de cette intervention, deux autres patient.e.s-formateur.rice.s ont assistés à l’ensemble des séances du cours (jusqu’au début du confinement). L’objectif était que ces patient.e.s puissent découvrir la théorie amenée lors du cours avec leur « vision patient.e » et y donner leur ressenti. L’intérêt réside dans le dialogue entre étudiant.e.s, patient.e.s et enseignants et enrichir la vision de ce qu’est l’éducation thérapeutique du patient.

Au mois de juin 2020, un débriefing du cours a permis de valider cette expérience au niveau de l’enseignant.e et des patient.e.s. Chacun.e ressentant la plus-value de cette approche pédagogique. Plusieurs témoignages d’étudiant.e.s vont également dans ce sens, en voici un exemple :

« (…) je tiens à souligner que la présence régulière des représentants de la LUSS, en particulier la séance du 6 février où plusieurs représentants de la LUSS nous ont partagé leur ressentis et expériences en tant que patients, m’a énormément touchée. En effet, étant infirmière, je suis « de l’autre côté ». Cela m’a permis de me rendre compte de leur vécu. Le travail du personnel soignant n’est pas toujours facile, il est parfois dénigré, mais entendre ces personnes m’a fait me rendre compte qu’il faut encore en faire plus, continuer à se battre pour soutenir ces personnes, car comme l’a dit l’un des intervenants : ‘on ne nous écoute pas’. Or l’écoute est primordiale. (…) Notre façon de nous comporter face à des patients est-elle liée à des automatismes, de la lassitude, ou est-ce lié à un caractère personnel du soignant ? Quelle qu’en soit la cause, il n’est pas acceptable qu’une personne soit déshumanisée ».

  • Haute École de la Province de Liège (HEPL) – Formation complémentaire en gériatrie – Cours de communication et relation entre le soignant et le patient.

Suite à l’organisation d’un colloque avec la Province de Liège sur la thématique « Patient.e et soignant.e : partenaires dans la relation de soins » en 2019, l’HEPL a proposé à la LUSS d’être titulaire du cours de « Communication et relation entre le soignant.e et le patient.e » dans le cadre de la formation complémentaire en gériatrie destinée aux infirmier.e.s pour l’année scolaire 2019-2020.

L’animation du cours avait été imaginée en amont du projet patient.e.s-formateur.rice.s. Celle-ci consistait en un premier cours plus « théorique » abordant les notions d’empowerment via des techniques participatives, et en un second cours plus « pratique » via des ateliers animés par différentes associations de patient.e.s dont les thématiques faisaient écho à cette spécialisation (aphasie, malvoyance et troubles psychiques).

Deux patient.e.s-formateur.rice.s ont été associés à l’organisation du premier cours. Ceux-ci avaient l’occasion de rebondir sur les propos de la LUSS et d’amener du contenu supplémentaire.

Au travers d’un rapide moment d’évaluation du cours, les étudiant.e.s ont indiqué.e.s comme « le plus important/le plus utile » le temps de parole avec les patient.e.s ou encore le fait d’avoir pu communiquer avec des personnes directement concernées. Beaucoup ont également indiqué avoir été surpris par l’investissement de ces patient.e.s.

  • Haute École Namur-Liège-Luxembourg (Hénallux) – 3e Bachelier Infirmier Responsable de Soins Généraux – Cours de Communication et organisation du travail interprofessionnel – S. Choffray, B. Simonet et C. Vanderstichelen.

L’Hénallux et la LUSS collaborent de façon ponctuelle depuis plusieurs années. Lorsqu’en novembre 2019, la LUSS est contactée par un groupe d’enseignantes de l’Hénallux, cela correspond parfaitement avec la structuration du projet « patient.e.s-formateur.rice.s ». La demande concerne l’organisation de rencontres interactives et réflexives entre patient.e.s, étudiant.e.s et enseignant.e.s autour du vécu avec une maladie chronique.

Une réunion de préparation, impliquant les patient.e.s-formateur.rice.s intéressé.e.s, est organisée quelques semaines avant le cours au sein de l’école afin de préparer la séance collectivement. Six patient.e.s-formateur.rice.s participeront à ce projet. Répartis par groupe de deux, chacun.e aura l’occasion d’expliquer son quotidien à différents groupes d’étudiant.e.s qui, à partir des éléments exprimés, devront définir un plan de soins.

Le témoignage de cette étudiante permet de valider également cette expérience :

« C’est formidable d’avoir l’occasion d’entendre les témoignages de ces patients, de pouvoir sentir à quel point il est important que nous développions nos capacités d’écoute active. On noue avec eux des rapports tout différents de ceux auxquels nous sommes habitués dans le cadre de nos cours ou nos stages à l’hôpital. A l’hôpital, c’est nous – ou du moins nos profs ou maîtres de stage – qui « savons ». Ici, ce sont les patients qui nous instruisent, ce sont eux les experts, eux qui nous fournissent les informations utiles : j’adore ce renversement de posture ! ».

  • Haute École Libre Mosane (HELMo) – 3e Bachelier Infirmier Responsable de Soins Généraux, Cours de Soins infirmiers chroniques, Education thérapeutique et structures de soins – C. Dans et S. Darimont.

L’année scolaire 2020-2021 est la 4e année de collaboration entre l’HELMo et la LUSS. L’implication des patient.e.s dans l’élaboration du cours se renforçant d’année en année. Au départ, les associations de patient.e.s étaient invitées à se présenter aux étudiant.e.s, mais également à animer des jeux de rôle pour les sensibiliser au concept de partenariat patient.

Depuis l’année scolaire 2019-2020, l’ensemble des séances du cours sont animées par des patient.e.s. Tou.te.s les patient.e.s impliqué.e.s dans ce projet font désormais partie du groupe de patient.e.s-formateur.rice.s.

Chaque cours a été pensé à partir des préoccupations exprimées par les patient.e.s, lors de réunions de préparation organisées par les enseignant.e.s. Les étudiant.e.s sont divisés en sous-groupe et c’est un patient qui anime le groupe en suivant une méthodologie participative. L’objectif est de susciter le débat entre patient.e.s et étudiant.e.s et d’amener ces derniers à se questionner sur leurs pratiques et leur posture en tant que professionnel.le de la santé. Un moment en plénière en fin de cours permet de faire la synthèse sur ce que chaque groupe a appris durant la séance, et ainsi de collectiviser les expériences.

Cette année 2020-2021, 17 patient.e.s-formateur.rice.s sont impliqués dans l’organisation du cours et ont également été invités à co-construire le syllabus du cours avec les enseignant.e.s.

Conclusion

Il existe un véritable engouement quant à l’implication des patient.e.s dans la formation des (futur.e.s) soignant.e.s – que ce soit chez les patient.e.s et leurs associations, les enseignant.e.s ou encore les étudiant.e.s eux-mêmes. Un an après le lancement du projet « patient.e.s-formateur.rice.s », 29 patiente.s ou proches, issus de 19 associations, ont rejoint l’aventure.

Les expériences de partenariat patient sont de plus en plus nombreuses et démontrent que le changement de paradigme est bien en marche. De nombreux projets impliquent aujourd’hui les patient.e.s, au-delà du secteur de l’enseignement. Ne serait-il pas temps de prendre un moment de recul pour établir un état des lieux de ces projets ? Quelles sont les formations proposées ? Quels sont les acteur.rice.s impliqués ? Comment mutualiser nos expériences et construire une vision d’ensemble de ce qui existe actuellement ? Et surtout, comment pérenniser ces initiatives ?

Il faut dès maintenant qu’une réflexion impliquant les patient.e.s, leurs représentant.e.s via les associations de patient.e.s, les établissements d’enseignement supérieur, les professionnel.le.s et le politique se mette en place afin de dégager des moyens permettant à ce type de projet de s’inscrire dans la durée.

Texte rédigé par Cassandre Dermience, Chargée de projets à la LUSS (octobre 2020).

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