Habiter

Film participatif sur le thème de l'habitat, vu par des ex-SDF.

Introduction

Depuis quelques mois, le SMES-B mène le projet « habiter » : un projet audiovisuel participatif avec des personnes en logement ayant été sans-abri. Le point de départ du projet est le constat initial suivant : habiter ne va pas de soi, et particulièrement pour des personnes ayant vécu en rue qui, souvent, sont fragilisées à plusieurs niveaux (personnel, psychique, relationnel, social, juridique, de santé…).

Qu’est-ce donc qu’habiter quand on a été sans-abri, qu’on a connu des ruptures multiples, des difficultés multidimensionnelles, un parcours de vie morcelé ? Bien plus qu’un simple emménagement, l’installation dans un logement et l’appropriation de celui-ci est avant tout un processus. À partir de l’expérience de ces personnes, ils ont voulu poser la question de l’habitation : quelles sont les conditions pour se sentir chez soi ? Pour faire sien un lieu ?

Méthodologie

Les outils utilisés dans le cadre du projet relèvent du champ audiovisuel : la photo, la vidéo, le son.

Les participants sont rencontrés de manière individuelle (au domicile ou ailleurs) ou collective : un atelier de groupe est organisé ponctuellement à Puerto (CAW Brussel).

Le projet place la participation des personnes en son coeur. Celle-ci se décline sur différents niveaux, en fonction des envies ou des possibilités de chaque participant : de l’expression comme parole à la maîtrise technique des outils utilisés. Avec comme objectif final : la réalisation d’une production audiovisuelle, composition d’images et de témoignages sur le thème de l’« habiter ».

Mais les objectifs du projet sont multiples : il s’agit de créer un espace d’expression où chaque participant puisse rendre compte de son ressenti, ses difficultés, peurs, joies associées au logement. Le médium visuel est une occasion de prendre du recul, de modifier le regard de chacun sur sa réalité et de contribuer, éventuellement, à transformer la façon dont il la vit. L’implication des participants dans le projet ouvre des possibilités, contribue à augmenter l’estime de soi et peut-être aussi, à se sentir davantage chez soi.

Au départ, lors des premières rencontres, il y a une feuille blanche où les mots et les images viennent se déposer. Les mots de la maison, les premières photos. De la matière est créée, des idées surgissent. Est abordé temps qui passe, ce qu’il y a dans le frigo, la vue de la fenêtre, les clés, la sécurité, le rangement, l’ordre, les tiroirs, les coffres, la boite aux lettres… Filmer implique de s’interroger. On parle de la maison idéale, de la liberté, de la contrainte, de l’attachement aux lieux, des factures, des angoisses, de la cuisine, de la mémoire qu’il faut entraîner, de la télé et de la solitude. Il y a un échange sur les expériences de chacun. Petit à petit se construit un récit, une trame pour relier tous ces morceaux dans un montage unique, une réflexion sur le quotidien qui laisse une place à la dimension poétique de l’habiter, à la créativité de chacun.

Enfin, le résultat final a vocation à être aussi un questionnement adressé au futur spectateur : qu’est-ce que, in fine, habiter ? Ainsi, le film, en partageant le point de vue des participants, est une invitation à changer notre propre regard, à secouer nos idées préconçues pour mieux se comprendre.

L’avant-première a eu lieu le 19 novembre 2015 à guichet fermé au cinéma Galerie à Bruxelles.

Compte rendu des échanges lors de la rencontre Midi Nomade le 29.09.2015

Après la diffusion de deux capsules extraites du film, une discussion se met en place entre le public et les représentants du projet (Lucie Martin, chargé de projet et Freddy Taillieu, participant).

D’où proviennent les textes qui apparaissent dans le film ? Comment sont-ils choisis?

Ce sont des exercices d’écritures. Par exemple, la description de chaque face de la maison d’un participant. Puis c’est lu, relu, chaque phrase est travaillée. Concernant le choix des textes par rapport aux images : par exemple, description d’un appartement sur la vision d’un parcours en rue (le participant filme les endroits où il est souvent en rue). Au début, ce n’est pas forcément évident pour le spectateur, mais c’est un choix, à l’inverse d’un reportage, on ne dit pas tout, on laisse à l’imaginaire, au côté poétique de la maison la possibilité de s’exprimer.

Est-ce un projet collectif ? Est-ce que tout le monde a participé aux différentes phases du projet (filmer, monter…) ?

Chacun a participé en fonction de ses capacités. Certains étaient très investis. D’autres intéressés, mais ne savent pas comment participer. La chargée de projet les rencontre plusieurs fois, il y a discussion, parfois un suivi individuel, ça peut prendre du temps avant que la personne manifeste l’envie. On leur laisse un appareil photo, la discussion continue, on définit plusieurs thèmes, ensuite on développe les photos, on trie, on propose des exercices d’écritures, ça se construit petit à petit. Mais il faut aussi trancher à un moment et ne pas se laisser submerger par l’accumulation de matériel.

Pourquoi le mot « habiter » ?

Initialement, la chargée de projet a proposé les mots « habiter » et « maison ». À Puerto (structure bruxelloise proposant des habitats accompagnés), un des premiers exercices a été d’inscrire tous les mots, phrases, idées liés à la maison, sur un grand tableau (à la manière d’une mind-map). Une exploration lexicale et conceptuelle de la thématique. Puis ils ont enregistrés ces mots-idées (également pour s’approprier les outils audiovisuels – cadrage, technique d’interview,…). L’envie est d’explorer le côté imaginaire de la maison (par exemple : quelle est la maison idéale?), mais aussi les petites choses de la vie quotidienne (regarder par la fenêtre, faire la vaisselle,…). Filmer, prendre en photo permet de s’interroger de développer un autre regard sur ce qui nous entoure. C’est un des objectifs du film : réveillez une créativité qui est là, mais qui n’est pas investie dans un projet.

Est-ce que l’intention initiale est de produire un film ?

Oui, c’était une proposition. Et c’est beaucoup. Très ambitieux. C’est des outils compliqués, un projet multi-facettes, rien que la logistique est un travail en soi. Les outils n’étaient pas maîtrisés non plus par la chargée de projet, elle est au même niveau que les participants.

Au départ, est-ce que vous, le groupe, vous posiez des questions sur le thème « habiter » ? Est-ce que vous avez trouvé des réponses à vos questions via le projet?

Il n’y pas forcément des réponses claires qui sont apparues, mais beaucoup de questions ont émergées, des évidences ont été remises en question (par exemple, pour les participants, « comment redevenir autonome? ». Ou pour le grand public, « habiter va-t-il de soi ? »).

Lorsqu’on réfléchi au thème « habiter », est-ce que vous, le groupe, avez trouvé que les gens qui ont vécu en rue et ceux qui n’ont pas vécu se ressemble peu ? Est-ce que c’est vraiment deux mondes différents ?

Deux points de vue s’affrontent : « La rue, c’est la liberté envers et contre tout. La maison, c’est des règles à suivre. » VS « La rue, c’est des contraintes que l’habitat permet d’éviter ». Mais fondamentalement, il s’agit bien de deux mondes différents, d’une part, la principale différence, c’est les ressources disponibles pour faire face aux problèmes. Principalement au niveau affectif. D’autre part, habiter, c’est inconsciemment avoir ingéré un grand nombre de règle et les appliquer. En partant de ce point de vue, on peut mieux comprendre pourquoi ça peut être compliqué de vivre en appartement quand on vient de la rue. Le grand public aurait tendance à penser « il vient de la rue, on lui donne un toit et il arrive encore à se plaindre ! ». La réalité est plus complexe.

Est-ce que certaine personne dans le film parle du « déclic » qu’il faut pour passer de la rue à la vie avec logement ?

Après discussion au sein du groupe, il a été décidé de ne pas garder ce type de témoignage. C’est les textes créés pour l’occasion qui ont été privilégiés. Mais, pour répondre à la question, c’est principalement grâce au soutien associatif. Un individu à la rue est avant tout dans la survie, il est perdu, dépassé. La plupart du temps, il faut qu’une personne extérieure intervienne, qu’un rapport de confiance s’établisse et à partir de là peut s’envisager un projet d’habitat. Ça peut aboutir à des situations où les accompagnants y croient plus que l’accompagné, et si ce dernier lâche l’affaire, il faut être proactif et aller le rechercher. Dans le cas de Puerto, ça se fait en tandem avec Diogènes (travail de rue). Ça peut prendre six mois, un an, voire deux avant d’aboutir à un résultat. Il faut prendre le temps et accepter qu’entre la vie en rue et la vie en logement, il y a une période entre-deux, transitoire. Pragmatiquement, durant cette période, les visites sont interdites (c’est à la personne de se déplacer) et les assuétudes tolérées. Les règles peuvent être critiquées mais on explique que ça fait partie du projet. L’accompagnement est important pour le nouvel habitant, pour qu’il ne se sente pas « comme un cheveu dans la soupe ».

Est-ce que l’accompagnement se poursuit dans l’appartement ? Est-ce que les participants l’abordent dans le film ?

Oui aux deux questions. Dans le film, une voix off y fait référence en soulignant que son appartement est un espace de réunion.

Est-ce que les caméras sont laissés aux participants ? Comment s’organise le filmage ? Le montage ?

Première étape : prêt d’un appareil photo jetable et après retour de celui, on passe à l’appareil photo numérique, liberté totale dans la capture des images.

Pour le montage, impossible d’être à plusieurs derrière la table. Donc, on monte, on propose, on remonte en fonction des commentaires… un mouvement de va-et-vient de façon à aboutir à un résultat le plus proche possible de l’intention des participants.

Le projet repose sur une envie de proposer aux participants de s’approprier une technique, de développer un discours, de s’amuser, de stimuler la réflexion sur sa condition, de dévoiler, mettre en évidence les ressources de chaque participant et par là, avoir un impact sur leur estime de soi.

Est-ce que la dimension poétique du projet est le fruit d’une volonté initiale ou est-ce que ça a émergé au fur et à mesure de l’avancement du projet ?

La volonté initiale est de réfléchir sur la dimension poétique de l’habitation, chercher à partir des mots, jouer sur les mots, créer des textes. Une source d’inspiration fut « Espèce d’espace » de Georges Perec. La chargée de projet donne des pistes qui vont dans cette direction pour ne pas tomber trop dans le témoignage, le pathos… relater des situations compliquées sans misérabilisme, la poésie comme rempart face au voyeurisme. L’idée c’est de donner la parole, sans forcément se raconter, ce n’est pas du récit de vie (il y avait un exercice basé sur le texte « Je me souviens » de Perec, où le but est de raconter des souvenirs sans lien direct avec soi, par exemple : hier, il a fait bon alors que la météo avait annoncé le contraire).

Quid exploitation du film ?

Séance de projection publique (19 novembre 2015 au cinéma Galeries), festivals de films d’atelier, quelques exemplaires dvd.

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