Alter Medialab

Journalisme participatif

Le projet

L’objectif de l’Alter Medialab : donner la parole à des personnes qui ne l’ont pas forcément, une parole qui peut être déniée. C’est un projet de l’Agence Alter, une agence de presse qui traite des questions sociales depuis 20 ans (c’est repris dans leurs statuts : défenses des droits sociaux, culturels et économiques des citoyens). L’agence Alter, c’est aussi deux revues : Alter écho et les Échos du crédit et de l’endettement. Il y a une réelle volonté d’un travail journalistique sur ces questions sociales. Une prise de conscience s’est imposée avec le temps : dans la sphère journalistique, la parole va souvent aux mêmes personnes (institutions, associations, ceux qui font les politiques sociales et pas suffisamment à ceux à qui elles sont destinées). En réaction, il y a 4 ans, création d’un dispositif de journalisme participatif : l’Alter Medialab. Le journalisme est un outil intéressant dans le sens où il peut prendre comme point de départ le témoignage de ces personnes en déficit de droit sociaux, économiques et culturels. L’idée est de les amener à se situer dans l’environnement dans lequel ils se trouvent, dans la société où ils vivent. De pouvoir confronter leurs expériences avec celles d’autres personnes. D’aller à la rencontre des décideurs, des responsables et de pouvoir confronter leurs manières d’avoir vécu, ressenti les choses, avec le point de vue des autres intervenants. Le rôle du journaliste est de restituer cette complexité auquel nous appartenons tous en tant qu’acteur.

Méthodologie

Alter Medialab a déjà travaillé sur le handicap, le surendettement et cette fois, le thème est l’exil. L’Alter Medialab a eu vent du groupe journal du service d’Ulysse. Ils ont trouvé que c’était une bonne base de travailler avec un groupe qui s’intéresse déjà aux questions de journalisme. S’ensuit une première prise de contact avec explication de la démarche, puis une série de rencontres pour voir s’il y avait une envie commune de travailler ensemble, faire connaissance et se demander comment travailler ensemble. À partir de là, l’Alter Medialab a entamé la mise en place du journal papier et a proposé différents médias : réalisation journalistique écrite, photos pour ceux qui ne sont pas à l’aise avec l’écriture, l’illustration (Bande-dessinée) et aussi la radio avec le Gsara[1]. Au fur et à mesure, les membres du groupe journal Ulysse se sont confiés, ont expliqué leur trajectoire. À partir de là est apparu ce que les participants avaient envie d’exprimer. Ils ont travaillé sur des sujets choisis par les participants et qui les concernaient donc directement :

  • Ne pas avoir de papier, le fait d’être dans un entre-deux, un état de suspension, où les personnes ne peuvent s’inscrire dans une réalité concrète (la réalité des « avec-papiers »).
  • La question du travail aussi, le fait de ne pas pouvoir accéder à ce qui permet de s’inscrire dans la société.
  • La question de l’éducation, l’accès aux études (qui est, au niveau primaire et secondaire, reconnue juridiquement mais pas facile à mettre en œuvre, et difficile ensuite quand les enfants grandissent (accès à l’université) : comment envisager l’avenir pour ces enfants-là ?).
  • La question des centres d’accueil, des centres fermés fait également partie des sujets abordés.

Peu importe le support (illustration, texte, photo ou radio), tout est co-construit en tandem (participant – journaliste). Par exemple, un des participants a suggéré un article sur l’asbl Hobo[2] , il suivait des cours de néerlandais chez eux. D’un point de vue journalistique, c’est une bonne chose : le participant vient avec un sujet bien délimité, le but était de faire le portrait d’une association, voir ce qu’elle offrait. Le participant était reconnaissant de l’aide apportée par Hobo et souhaitait donner le change en leur accordant un peu de visibilité et aussi pour que des personnes dans la même situation que lui puissent découvrir Hobo via cet article. Pour cet article, le tandem a fonctionné de la manière suivante : d’abord, le travail journalistique traditionnel : se renseigner sur la structure, ils ont prévu une interview avec le directeur de la structure, ils l’ont préparé ensemble, réalisé ensemble, puis ils ont écrit l’article à 4 mains, d’abord en anglais (mieux maîtrisé par le participant) puis traduit par le journaliste en français. Ici, c’est particulier puisque ce n’est pas basé sur le témoignage du participant. C’est en filigrane, rien n’est mentionné de son parcours mais c’est son parcours qui l’a amené à ce sujet. Son vécu de migrant a pu influencer le contenu de l’article, notamment dans son côté pragmatique.

Pour la bande dessinée, ils ont cherché des images sur internet par rapport aux personnages qu’ils voulaient mettre en scène dans l’histoire, ensuite il décalquait sur table lumineuse et puis travaillait le découpage ensemble : qu’est-ce qu’on va mettre dans la case suivante ? Comment on va l’agencer ? etc. Il y a le souci de travailler le sujet mais aussi de travailler sur une production, sur ce qui va en résulter.

Idem pour la radio, c’était d’abord une formation de base pour pouvoir s’approprier l’outil, mais après ils partaient avec les micros réaliser des reportages sur les différents sujets. Il fallait aussi mener toute la conduite de l’émission (une heure et demi), les participants pilotaient l’émission. Il y avait deux techniciens aux manettes mais ce sont eux qui ont animé cette émission en prenant tour à tour la parole, en envoyant les sons qu’ils avaient réalisés, comme une émission radio professionnelle.

Idem pour l’écrit, parfois en termes de réalisation, les journalistes ont plus été la plume, mais toutes les étapes ont été faites en tandem (faire les interviews, réfléchir aux questions posées, aller à la rencontre des acteurs – qui se retrouvent eux aussi dans une situation différente parce qu’ils ont en face d’eux les personnes directement concernés par ce qui est mis en œuvre sur le terrain). L’élaboration est bien co-construite et les journalistes étaient bluffés de voir l’engagement des participants et la qualité du résultat.

Un autre point important est la lenteur, la longueur du processus : ça prend du temps, le temps de réajuster, d’apprendre à connaitre la personne, son récit de vie. Le projet a débuté en février 2016 pour se terminer fin septembre 2016. Ulysse est souvent confronté à des demandes de journaliste qui arrivent dans l’urgence et demandent « deux témoignages de migrant avec tel profils, ça cadrerait bien avec notre sujet pour 19h ». Il s’agit bien sûr d’un autre type de journalisme, avec une perspective plus utilitariste : pour le Medialab, c’est différent, on prend le temps d’installer la parole, de s’exprimer pleinement, de déchiffrer le sujet, de s’engager dans un processus : le temps permet faire connaissance, de développer une harmonie de travail et de progresser dans la réalisation.

Le point de vue des participants

Une participante témoigne :

Au début, la méconnaissance du français et la timidité étaient des freins. Mais ces obstacles ont été surmontés et ça permet d’avancer, de rompre avec la timidité : c’était une bonne expérience, quelque chose de nouveau, ça donne une chance d’être entendu. 

De plus, parler de sa situation avec les différents acteurs impliqués permet de mieux la comprendre. Mais ça crée aussi des situations ubuesques comme par exemple une rencontre avec une avocate où la participante avait une meilleure connaissance des procédures : ça renverse le cadre habituel, c’est aussi un des objectifs du projet. Le but est aussi de pouvoir exprimer l’injustice plus que de la comprendre et aussi apprendre à le dire en français.

Un participant, qui fait partie du groupe journal Ulysse depuis 4 ans, ajoute :

Cela permet de comprendre les coulisses de l’univers journalistiques. J’ai compris que les journalistes ne racontent pas ce qu’ils veulent, qu’il y a d’abord un travail de recherche d’information, puis d’écriture. Je comprend mieux ce qu’est le journalisme.

Ce qui l’a aussi motivé à participer au journal, c’est que l’opinion publique ne semble ne pas avoir une bonne vision de ce qui pousse à demander à l’asile. Il y a une incompréhension et il faut arriver à la dissoudre, notamment grâce l’écriture de textes sur ce sujet. Pour lui, la migration est liée à l’histoire humaine, c’est normal, ça existe depuis toujours. Aujourd’hui, c’est lui et demain, ça sera vous. Il est satisfait du travail en tandem, son discours a été bien résumé (il avait beaucoup à dire) et a été rendu présentable. Il trouve que le journalisme participatif est un système pertinent. Il conclue :

Nous sommes les mieux placés pour exprimer la situation. C’est une opportunité d’informer la société belge sur la réalité des migrants.

Une autre participante explique :

J’ai reçu des propositions de témoignages, notamment par des journalistes, mais j’ai toujours refusé, j’était contre. Pour l’Alter Medialab, c’était différent : quand j’ai compris que le choix du sujet était libre, qu’il y avait du temps pour le réaliser, qu’il s’agissait d’une réelle collaboration avec des journalistes, j’ai accepté.

Des souvenirs sont revenus : dans son pays, elle était journaliste et c’est la raison pour laquelle elle a dû fuir son pays. Quand ce projet lui a été proposé, elle était préoccupée par l’avenir de l’éducation de son fils : elle en a donc fait son sujet. Son fils est en 6ème rénovée, il a de bons résultats et souhaite poursuivre ces études pour devenir médecin. En Belgique, les études sont obligatoires jusqu’à 18 ans, mais que se passe-t-il après sans titre de séjour ? Elle souligne le fait que la journaliste avec qui elle a travaillé la considérait d’égal à égal, elle n’avait pas en tête le stéréotype du sans papier : ça a permis à la participante de se retrouver, de se sentir à nouveau libre. Elle a éprouvé la même sensation en face du public lors de la conférence de presse. Pour un autre participant, le projet l’a aidé à se débarrasser d’un fardeau, car c’est difficile pour eux de raconter leur vie personnelle, leur parcours, leur histoire vécue dans leur pays comme celle vécue dans le pays d’accueil, c’est même difficile d’en parler entre eux – par pudeur, tabou ou peur du rejet. Ulysse et Alter Medialab sont des espaces où l’on peut exprimer ses émotions, ses problèmes personnels, on peut y raconter ce qui ne peut pas être raconter. Exprimer ses problèmes aide à les laisser derrière soi et avancer.

Le point de vue des journalistes

Pour les journalistes impliqués dans le projet, il est primordial de donner la parole aux personnes en déficit de droit même s’il n’y a pas toujours le temps, même si les rythmes de publication ne le permettent pas forcément. D’où l’intérêt de ce type de projet. Le temps est important (pour le numéro avec les endettés, ils ont eu moins de temps, le groupe se connaissait moins et ça a pu contribuer à des échauffements). Le dispositif participatif doit être mené jusqu’au bout : les participants doivent collaborés, être consulté au maximum.

Une bonne communication est primordiale : les enjeux, les limites du projet doivent être clairement définis, afin qu’il n’y ai pas d’attentes démesurées, qui peuvent aboutir à des frustrations. Impliquer les participants au maximum et communiquer clairement permet d’éviter de donner l’impression aux participants que leurs paroles auraient été utilisées. Ce sont des aspects auxquels il faut être attentif mais qui n’ont pas posé de problème avec ce groupe-ci.

Par rapport aux rencontres avec les participants, le but est de comprendre leur « temps suspendu » et de montrer que les compétences, les valeurs, l’identité, la dignité de la personne est maintenue malgré ce temps suspendu. Alter Medialab offre un espace pour aider à exprimer cela. Pour pallier aux agissements quelquefois honteux de notre gouvernement, à l’état d’esprit ambiant qui peut faire peur, ce type d’outil permet modestement de rétablir un équilibre, de renverser la tendance.

Conclusion

L’Alter Medialab permet de combler le fossé entre la situation des sans-papiers et la manière dont ils sont perçus, notamment à cause des médias : les montrer sous leurs vrais visages, c’est-à-dire des personnes comme les autres. Il y a des projets citoyens qui s’engage dans un soutien de cette population. Mais l’Alter Medialab, c’est avant tout des rencontres, c’est entrer dans la vie des uns et des autres, ce sont des réalités qui ne se croiseraient pas forcément en dehors de cette expérience. L’objectif principal, c’est le fait de pouvoir donner cette parole, de transmettre le message et de prouver aux différents groupes approchés qu’on va les aider à le transmettre, à la porter vers le grand public. Et d’un point de vue d’un journalistique, c’est pertinent de pouvoir entendre d’autres points de vue sur les sujets traités, d’avoir le point de vue de ceux qui le vivent au quotidien.

Plus d’infos

www.altermedialab.be

www.alter.be

www.ulysse-ssm.be

[1] www.gsara.be

[2] www.hobosite.be